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Mathilda, une femme de là-bas

Chadia Atassi
© Nagham Hodaifa, de la série: Danse encrée, encre et brou de noix sur papier (2008).

* Extrait du roman « Tangho al-gharam » (Le Tango de la passion) de Chadia Atassi (publié en 2020 chez Dar al-arabiyya lil-‘ouloum)

En dépit de tout, quelque chose de beau s’est produit : ma rencontre avec Mathilda, l’Italienne.

J’ai rencontré Mathilda dès les premiers jours de notre arrivée. Elle habitait avec son mari, David, la maison juste en face de chez nous. Nous avions d’abord reçu la visite de son petit chien. Notre fille Nadia avait joué avec lui et lui avait donné à manger. Lorsque Mathilda était venue le chercher, nous avions fait connaissance…

Je crois à l’alchimie qui fait que deux êtres sont attirés l’un vers l’autre. Mathilda avait ravi mon cœur et y avait pris place. Dès la première rencontre, une complicité silencieuse s’était installée entre nous. Une amitié durable était née. Sa simplicité et sa spontanéité avaient brisé les barrières de l’exil.

« N’aie pas peur, tout va bien se passer », m’avait-t-elle dit avec son délicieux accent chantant, présumant que je devais être un peu perdue et avoir tendance à me replier sur moi-même, « je comprends ce que tu vis ; voisines méditerranéennes, nous sommes habitées par le même esprit fébrile, avide de vie, exubérant et rêveur. » À cet instant, un sentiment de plénitude m’avait envahie et m’était allé droit au cœur. J’en avais tant besoin !

Des cheveux châtains sur une peau basanée et, par-dessus tout, ses rires : voilà ce qui faisait le charme de Mathilda. Deux délicates fossettes aux coins des lèvres estompaient la légère dureté de son visage et le rendaient chaleureux. David, son mari allemand, et elle formaient un beau couple. Ils s’étaient rencontrés dans le Sud de l’Italie où David était en voyage professionnel. Ils étaient tombés amoureux, et elle avait quitté son pays pour le suivre et vivre ici avec lui.

Par sa présence, Mathilda m’avait permis de retrouver un semblant de sérénité ; je vivais les premiers instants d’une nouvelle expérience dont j’ignorais où elle me mènerait, tout accaparée que j’étais par la vie différente que je commençais à construire.

Leur petite maison était devenue pour nous un havre où abriter notre solitude. Mathilda était notre guide ; nous échangions en anglais et nous la sollicitions pour tout, petites ou grandes questions.

Elle nous avait invités à un brunch qui s’organise généralement ici les samedis et dimanches midi. Etonnée par sa maison, je n’avais pu réprimer un petit cri d’émerveillement : « Ohhhh quelle belle demeure ! Cela me rappelle la mienne à Damas, Mathilda ! » Elle avait répété la phrase qu’elle prononçait à chaque fois qu’elle éprouvait le besoin de se justifier : « Ne te l’ai-je pas déjà dit ?! Nous sommes voisines méditerranéennes, nous avons la même sensibilité et le même sens du goût ! »

Mathilda avait réussi à distiller dans son intérieur l’âme de sa terre d’origine : des portraits intimes d’enfants riant aux éclats, de femmes à la peau foncée, aux traits durs et aux vêtements noirs et tristes, d’hommes fatigués parcourant la mer sur leurs bateaux sous un soleil cuisant. Tous les protagonistes donnaient l’impression qu’ils s’apprêtaient à sortir du cadre. Nous partagions des histoires semblables. Même le bougainvillier aux couleurs pâles qui grimpait timidement sur le grillage de la terrasse me rappelait ces plantes qui poussaient sauvagement sur nos côtes et dans nos villes et que notre soleil rendait si vivantes et énergiques, si fières de leurs couleurs criardes et chaudes. Ici le soleil avait perdu de son ardeur. J’avais quand même demandé à Mathilda une bouture que j’avais plantée dans mon petit jardin allemand.

Nous nous étions liés d’amitié avec quelques personnes ici. Parmi eux, il y avait Juliano, l’Italien au sourire énigmatique. Des cheveux frisés descendaient sur sa nuque. Je l’avais souvent vu avec Mathilda, il était comme son ombre. Il me dévorait impudemment du regard.

David aussi nous témoignait sa sympathie et s’occupait de nous. De longues années de fouilles avaient marqué ses traits et assombri sa peau. Il avait visité la Syrie, la Palestine et la Jordanie où il avait participé à de nombreuses missions archéologiques.

J’étais surprise par le respect et la passion avec lesquels il parlait de l’histoire de la région, en particulier du rayonnement culturel immémorial de la Syrie. Ses paroles me remplissaient de joie. Il tenait à nous parler en arabe et à utiliser certains mots précis mais avec son accent prononcé, c’était drôle. Nous souriions en douce. Mathilda s’en rendait compte et se moquait de lui. Il riait en nous faisant des clins d’œil. Il commentait alors son accent italien à elle. Ils formaient vraiment un beau duo.

À mon tour, je les ai invités à dîner. Ils sont venus accompagnés de Juliano, leur ombre qui ne les quittait jamais. J’avais préparé des boulettes de kebbés[1] frits dans l’huile chaude, du tabboulé[2] vert décoré de feuilles de laitue et de tomates, du hommos[3] à l’huile d’olive, du moutabbal[4] d’aubergines grillées. J’ai présenté dans de petites assiettes des moukhallal[5] de navets rouges qui se mariaient très bien aux feuilles de menthe vertes fraîchement cueillies du jardin. Lorsque nous nous sommes assis autour de la table, les plats que j’avais préparés étaient beaux, leurs couleurs éclatantes. Ils ont été grandement appréciés et rapidement dévorés. Khaled est resté silencieux et maussade et à ses côtés, son amie semblait aussi renfrognée que lui.

Juliano avait choisi de s’asseoir à côté de moi. Il mangeait avec appétit tout en me posant des questions sur les plats dans son mauvais anglais. Il m’a dit à quel point il les appréciait et combien il m’admirait aussi. J’étais mal à l’aise : il me suivait dans la cuisine, m’aidait à mettre la table, apportait les assiettes en chantant une chanson italienne connue « Bambina Mia » et m’enlaçait par la taille, taquin. Je craignais que cela se termine en catastrophe, je voyais le visage de Khaled se renfrogner. Il me lançait des regards de colère, les mêmes regards que ceux qu’il m’adressait lorsque plus rien n’allait dans notre couple, et qui me faisaient craindre le pire. Je m’étonnais d’en avoir encore peur.

L’ambiance était tout de même gaie et légère. « Vous n’écoutez pas de musique ? », a demandé David dont le regard faisait le tour des lieux.  J’ai été surprise par sa question. « J’ai tellement envie d’écouter de la musique arabe ! », a-t-il avoué. C’était comme s’il me parlait d’un autre monde. De la musique… Cela faisait tellement longtemps ! Sentant mon désarroi, il m’a simplement demandé si j’avais un ordinateur portable. « Apporte-le et cherche des chansons arabes sur YouTube ! » Je me suis exécutée et je l’ai allumé. La musique a fusé. C’était la première fois dans cette maison. David s’est levé. Il a attiré Mathilda pour la faire danser. Elle ne s’est pas fait prier et s’est laissée entraîner tout en ondulant des hanches avec coquetterie. Les mouvements de ses bras étaient élégants. David l’a soulevée et l’a fait tournoyer. Les yeux fermés, elle riait aux éclats.

« N’arrête pas ! Rappuie sur « play » ! Voyons ce qui va suivre », cria David en reprenant son souffle et retournant à sa place avec Mathilda. Les percussions ont résonné et ont empli le lieu.

Cette voix que j’adore, celle d’Oum Kalthoum et de sa « Laylat Hobb, nuit d’amour ». Mon Dieu, que se passait-il ? Un incendie se propageait dans mes veines !

Un coup, puis deux, les percussions ont retenti et la lumière a inondé le lieu.

Cette voix que je chéris, celle d’Oum Kalthoum chantant une nuit d’amour … Les cordes se font l’écho de la passion blessée, les notes sont en accord avec le désir, la voix incarne le chagrin. C’était comme si mon corps prenait feu.

« Nuit d’amour » … mon âme, mon histoire, mon souffle divin… se pourrait-il qu’une flamme ancienne qui sommeille en moi se rallume ?

Je revenais dix ans en arrière, grâce à un élixir magique. Quelque chose en moi bouillonnait, comme si je me réveillais d’un long coma, quelque chose de très ancien jaillissait du fond d’une mémoire enfouie et cherchait à s’exprimer.

 

Danser, c’était merveilleux ! Cela faisait tant de bien…

Leurs voix me parvenaient comme dans un rêve alors que je tournoyais, ondulais et haletais.

Je me suis arrêtée brusquement. Une porte a claqué. Khaled était parti. Son amie l’avait suivi en trottinant. Nadia était debout et me fixait avec un regard que je n’arrivais pas à déchiffrer. Son visage exprimait une profonde angoisse.

Soudain, le rêve a pris fin.

 

Traduit de l’arabe par Sarah Rolfo

[1] Boulettes de boulghour farcies de viande hachée et frites dans l’huile.

[2] Salade de persil finement haché, boulghour et citron.

[3] Préparation à base de pois chiches et de pâte de sésame.

[4] Préparation à base d’aubergines et de pâte de sésame.

[5] Légumes conservés dans du vinaigre et de l’eau salée.

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